Cedric Romero est formateur au Centre de formation PERF (Tarnos). Il est coordonnateur du programme « Vivre Ici », qui propose un accompagnement professionnel et social aux personnes réfugiées.
Quel est le point de départ du programme « Vivre ici » ?
Très souvent, les personnes réfugiées connaissent des ruptures de contrat au bout de quelques mois. Parmi les causes identifiées, il y a la barrière de la langue, la barrière culturelle (codes sociétaux et de l’entreprise) et celle de la mobilité. Globalement, « Vivre ici » est conçu comme un accompagnement global (social et professionnel conjugués) permettant pendant 6 mois une intégration dans le monde du travail et la vie en société. Le dispositif Vivre ici a également prévu un accompagnement de 6 mois supplémentaire pour accompagner les personnes au sein de l’entreprise dans laquelle elles ont commencé à travailler ou les soutenir dans leur recherche d’emploi.
Nous travaillons en partenariat avec le GEIQ « A Lundi » depuis l’origine du projet. En tant qu’organisme de formation, nous assurons l’accompagnement pédagogique (FLE, code de la route et permis de conduire, découverte des métiers). « A Lundi » intervient dans l’accompagnement professionnel (recherche des entreprises d’accueil et des emplois, suivi au sein des entreprises) et l’accompagnement social qui permet de lever les freins à l’emploi : santé, logement mobilité ….
Avez-vous déjà accompagné ce type de public ?
Oui, dans notre centre mais également chez « A lundi » , il y a régulièrement des personnes qui sont en insertion professionnelle, on est habitué aux publics qui ont besoin d’accompagnement vers l’emploi. Nous avons eu des publics migrants mais pas réfugiés, qui sont très différents. « Vivre ici » s’adresse vraiment aux personnes réfugiées, apatrides et bénéficiaires de la protection internationale.
Nous organisons des informations collectives dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, les centres provisoires d’hébergement, la mission locale… Après ces moments de rencontre, les stagiaires décident s’ils adhèrent ou non au programme. On reçoit en moyenne 30 à 40 prescriptions pour 18 places, même si on a suffisamment de souplesse pour en accueillir un peu plus. Nous rencontrons les stagiaires un par un pour s’assurer qu’ils ont bien compris ce que nous leur proposons.
A quoi les stagiaires s’engagent-ils ?
Le programme dure 6 mois pendant lesquels les personnes apprennent la langue française (oral et écrit). Nous travaillons aussi sur leur projet professionnel dans des métiers en tension et sur la représentation des métiers (BTP, cuisine…). Certaines personnes qui travaillaient comme plombier ou électricien dans leur pays se rendent vite compte qu’il y a beaucoup plus de normes en France. Ça ne correspond plus forcément à leurs attentes et elles ont besoin d’être accompagnées dans un nouveau projet professionnel.
Pendant les 6 mois, elles bénéficient de plusieurs modules. Il y a le module de français langue étrangère, un module de découverte des métiers en entreprise ou dans nos ateliers. Il y a du FLE métier pour que les personnes apprennent les termes techniques. Il y a aussi un module « d’Inter culturalité » où on aborde la culture française. Puis le code de la route, le permis de conduire, ainsi que les modules de sécurité (travail en hauteur, secouriste).
Si au bout de 4 à 6 mois on voit que le projet professionnel du stagiaire et stable, que la barrière de la langue est levée et que culturellement cela se passe bien, il peut sortir du programme sans problème et aller travailler. Mais l’accompagnement se poursuit tout de même. On travaille véritablement sur de l’individualisation de parcours.
Quelle solution avez-vous trouvé pour lever les freins à la mobilité ?
C’est nous qui allons chercher les stagiaires sur leur lieu de vie. 80% d’entre eux vivent à Pau, les autres à Dax et Mont-de-Marsan, alors que notre centre est situé à Tarnos. Nous avons des chauffeurs avec des minibus qui vont chercher les stagiaires le matin et qui les ramènent le soir. Cela fait un peu plus d’une heure le matin et une heure le soir. La première image que voient les stagiaires sont les chauffeurs donc il était essentiel qu’ils « transpirent » la culture Vivre Ici, puisqu’ils sont ensemble quasiment 3h par jour dans les véhicules.
Pour éviter que les stagiaires ne se lèvent à 4h du matin, nous commençons les cours à 10h et nous les finissons à 16h. Par contre, c’est journée continue, donc c’est assez copieux parce que ça représente 20h de FLE par semaine rien que pour la partie apprentissage du français. C’est une vraie immersion. Toujours pour lever les freins à la mobilité on a rajouté à l’action l’attestation de sécurité routière et le brevet de sécurité routière, de façon à ce que ceux qui échouent au code de la route puissent au moins aller travailler ou se déplacer en scooter.
En quoi consiste votre accompagnement ?
Le projet professionnel validé par des compétences techniques et des habiletés sociales est le fil conducteur de l’action. On travaille sur l’autonomie des personnes. A l’issue des 6 mois, elles ont acquis des repères pour effectuer des démarches, régler des problèmes et valider un projet professionnel. À partir du moment où les personnes ont validé un projet global, il y a moins de risque de rupture de contrat ou d’échec.
Tout ce qu’on leur apporte va dans le sens de la survie. Leur motivation vient de là. Ils savent que le programme est une réelle opportunité. La formation technique qu’on leur apporte est très importante, mais il ne faut pas passer à côté de toutes les compétences transversales et de la personne elle-même. Je crois qu’il est très important de partir du stagiaire et de son épanouissement, et pas du programme.
Avez-vous eu des surprises ?
Bien qu’étant formateur j’ai gardé une posture d’apprenant vis à vis des personnes que je rencontre. Je pars du principe qu’ils ont un vécu bien plus important que le mien, et que j’ai tout à apprendre d’eux. Par exemple lors d’un repas, un Tchadien m’a appris que dans son pays, on ne parlait pas quand on mangeait. Le problème c’est que si cette personne se retrouve en entreprise au moment du déjeuner et qu’elle a ce comportement-là, elle risque d’être mise à l’écart.
Comment se déroule la suite du programme ?
Le programme est constitué de 6 sessions, à terme nous aurons accueilli 108 personnes. Aujourd’hui, nos partenaires, confirment que le dispositif Vivre ici est adapté aux besoins des personnes réfugiées. Sur les premières sessions nous atteignons 70% de sorties positives, c’est-à-dire de situation d’emploi viable et durable ou de formation. Pour les 30% restant ce sont des personnes qui ont déménagé dans le nord de la France (rapprochement familial) ou des personnes pour lesquelles l’accompagnement médical a révélé une inaptitude au travail. Nous souhaiterions pouvoir reconduire cette action d’accompagnement global au-delà de 2022 et réfléchissons aux partenaires politiques et institutionnels que nous pourrions associer à cette réflexion …
Cet article est publié pour le compte de « La Place », la plateforme collaborative créée par la DGEFP, dédiée aux acteurs du Plan d’Investissement dans les Compétences :